Dans le cadre de notre série « La parole est à vous – Sie haben das Wort » EuroRekruter part à la rencontre de personnes actives sur l’axe France-Allemagne. Dans cette édition, Jeanne, professeur des écoles, avec sa chaîne Youtube et Instagram « Apprendre Natur’allemand » partage avec nous son parcours et son expérience franco-allemande.
Qui es-tu et que fais-tu dans la vie ?
Je m’appelle Jeanne, je suis française et actuellement je fais des vidéos sur YouTube et sur les réseaux sociaux pour aider les personnes francophones qui veulent apprendre l’allemand. En parallèle, je propose aussi des cours de langue en groupe ou individuels.
Plus personnellement, je suis maman de deux jeunes enfants. J’habite en région parisienne, je suis Alsacienne à l’origine, ce qui ne m’a pas forcément beaucoup aidé pour l’allemand parce que je n’ai jamais parlé allemand à la maison, je l’apprenais à l’école. Après, je suis partie comme volontaire à 18 ans pour un « Freiwilliges Soziales Jahr » dans un « Kindergarten » en Allemagne. Je ne parlais pas du tout bien allemand malgré dix ans d’allemand à l’école. Et pourtant, c’est pendant cette année que je suis tombée amoureuse de l’Allemagne, de la mentalité, des gens, je me suis sentie très à l’aise. Ensuite, j’ai fait un double cursus franco-allemand pour être professeur des écoles et j’ai enseigné pendant trois ans en tant que fonctionnaire allemande au Bade-Wurtemberg dans une école primaire. Depuis dix ans, je suis de retour en région parisienne.
D’où est venue ta motivation d’apprendre l’allemand et de l’enseigner ?
Je pense que c’est ma maman qui est à l’origine de cela. Elle est Alsacienne, donc elle voulait qu’on apprenne l’allemand. On est six enfants dans la famille, je suis la dernière de six, et de tous mes frères et sœurs personne n’a aimé l’allemand à l’école. Du coup, maman a essayé avec moi d’autres méthodes : elle me lisait des petits livres, elle essayait de me faire aimer l’allemand dans le cadre privé comme elle voyait qu’à l’école ça ne marchait pas trop. Et je pense que ça a joué. Après, il y a eu aussi une ancienne fille au pair allemande avec qui on était amis dans la famille et j’ai pu lui rendre visite quand j’étais adolescente. Je me suis rendue compte qu’à l’école on apprend l’allemand avec les règles de grammaire, des listes de vocabulaire, ce n’est pas toujours facile, et que rencontrer des vrais Allemands dans la vraie vie et voir à quel point ils sont sympas, ça donne envie. Après c’est aussi parce que je suis un peu anticonformiste et je n’aime pas faire comme les autres. Donc après le bac, j’ai décidé de partir en Allemagne au lieu de commencer les études tout de suite.
En ce qui concerne ma motivation d’enseigner l’allemand, j’enseignais le français et l’allemand en tant que professeur en Allemagne et ensuite j’ai été professeur des écoles en France. Je faisais une initiation en allemand à mes élèves de CP/CE1, qui aimaient beaucoup cela. Le déclic s’est fait en 2018, quand j’ai repris le travail en tant que professeur des écoles « classiques » après mon congé parental. Je me suis dit, j’aime l’Allemagne, j’aime apprendre l’allemand et il y a tellement de gens qui pensent que l’allemand est compliqué, moche, dur que j’ai eu envie de leur prouver que non. J’avais envie de casser les clichés, d’aider à changer les mentalités, à ma petite échelle.
Qu’est-ce que tu proposes exactement comme format d’apprentissage et qui sont tes élèves ?
J’ai deux facettes. D’un côté, il y a la vitrine que beaucoup de gens voient parce que je publie des vidéos sur YouTube avec plus de 75 000 abonnés, ça augmente régulièrement, c’est très encourageant. Il y a plus de 300 vidéos qu’on peut regarder, ce sont des vidéos qui parlent de tous les sujets, p.ex. de la motivation, de comment apprendre du vocabulaire, des points de grammaire etc. C’est un peu la manière de me faire connaître.
De l’autre côté, j’ai un programme de formation qui est sur une plateforme d’e-learning. Ce sont des formules sur trois mois, donc pendant trois mois il y a des vidéos pratiquement tous les jours avec des exercices, mais avec un accès illimité. Les vidéos et les exercices sont la base, mais ce qui est important pour moi c’est que les gens puissent parler entre eux parce qu’on a tendance à rester dans son coin. Pour cela, j’organise des séances en live pratiquement toutes les semaines où on se retrouve en petits groupes et on discute autour d’un sujet. Je propose deux formations, une pour les débutants avec comme objectif de revoir les bases p.ex. pour voyager, pour s’y installer etc. On apprend du vocabulaire et de la grammaire « natur’allemand » dans les situations du quotidien. Je propose aussi une formation niveau 2 qui s’adresse aux personnes qui veulent aller plus loin, on va plus se centrer sur la grammaire, mais tout en ayant cet accent sur la pratique.
En ce qui concerne les élèves, c’est très varié. On a une moyenne d’âge de 50 ans à peu près, mais ça va de 18 à 75 ans, donc c’est intergénérationnel. Une des premières choses que je demande à mes élèves est leur motivation pour apprendre l’allemand. Beaucoup apprennent l’allemand pour le plaisir ou ils ont des motivations personnelles, mais de plus en plus l’apprennent pour leur travail ou parce qu’ils habitent dans des régions transfrontalières. C’est aussi cette demande qui m’a amenée ces derniers mois à travailler sur un gros dossier qui est le CPF, le compte personnel de formation. Depuis septembre 2021, je suis officiellement accréditée et certifiée organisme de formation pour pouvoir proposer des cours dans le cadre du CPF. Donc maintenant des salariés peuvent acheter ma formation en utilisant leur compte personnel de formation et c’est l’Etat et l’employeur qui payent. La nouveauté c’est qu’actuellement j’essaie de lancer l’équivalent avec une chaîne YouTube qui s’appelle « Einfach Französisch » qui suit le même principe pour apprendre le français aux Germanophones. L’idée est de créer une communauté franco-allemande et de permettre aux gens des deux côtés du Rhin de pratiquer la langue et de leur proposer des gens avec qui parler.
A quoi ressemble une journée typique chez toi ?
Il y a deux types de journées, il y a les journées où les enfants sont à l’école et les journées où les enfants ne sont pas à l’école. Donc le mercredi et le week-end je travaille très peu. Je fais tout ce travail pour les motivations que j’ai nommées plus haut, mais ma famille reste tout de même ma priorité. C’est un travail qui me permet d’avoir une bonne qualité de vie et d’avoir une disponibilité pour ma famille, pour mes amis.
Les journées typiques de travail sont donc quand les enfants sont à l’école, je dépose les enfants à l’école et je prends d’abord du temps pour faire du sport et pour méditer. Ensuite je me mets au travail. Entre la sortie de l’école et le coucher des enfants, je ne travaille quasiment pas. Ça peut m’arriver de faire une petite story quand ils sont à côté en train de jouer. Et puis souvent je vais retravailler le soir, par exemple avoir des lives avec des membres de la formation ou une réunion avec les gens de mon équipe ou une formation où moi-même je me forme. Une grosse partie de mon travail concerne le marketing, les ventes, la prospection, la fidélisation etc. J’ai délégué la partie de l’accompagnement individuel à des professeurs d’allemand.
Est-ce que tu te rappelles d’avoir eu quelques „chocs culturels“ quand tu es partie vivre en Allemagne ?
Oui, bien sûr. Une des premières choses que j’ai remarquées était que le samedi après-midi tout était fermé. Je pense que ça a évolué, surtout dans les grandes villes. En France, le samedi est le jour où les magasins sont ouverts le plus longtemps, on sort, on fait pleins de trucs, donc c’était déprimant pour moi et du coup il fallait s’adapter.
Un autre choc, c’était la fête nationale le 3 octobre. Il y avait un ami français qui était venu me voir et on s’était dit que ça allait être la fête, il y aura des défilés, des drapeaux mais en fait non, il n’y avait rien, tout le monde était parti. J’ai appris après que les Allemands allaient se balader, il n’y avait pas du tout ce côté 14 juillet qu’on a en France.
Un autre choc était au niveau de la pédagogie. Quand tu connais l’école maternelle en France et que tu découvres un « Kindergarten », ça n’a rien à voir. Le matin, on faisait le « Stuhlkreis » et chaque enfant disait ce qu’il allait faire pendant la journée et ils partaient. Les enfants étaient très indépendants. Ça n’a rien à voir avec la maternelle en France, où toute le monde fait ce que dit la maitresse.
Tu penses à quelque chose que les Français pourraient apprendre des Allemands ? Selon toi, y a-t-il un point en particulier pour lequel ton pays devrait s’inspirer de son voisin ?
Au niveau de la pédagogie, j’ai beaucoup appris en Allemagne. Je trouve qu’on encourage beaucoup plus les enfants à être autonomes tout en les responsabilisant. Et cette différence entre le « Kindergarten » et l’école maternelle se poursuit à l’école primaire. En France, on met des barrières parce qu’on a peur que les enfants sortent de l’école, en Allemagne là où je travaillais, la cour était ouverte. En fait, en France, si se passe la moindre chose, l’enseignant est responsable, donc forcément on met des barrières pour éviter qu’il ne se passe rien. J’étais maîtresse de CP, donc de la « Erste Klasse » et le premier jour d’école on faisait le tour avec les élèves et on leur disait « Voilà, les limites, vous n’avez pas le droit de franchir cette limite ». Et si l’enfant dépassait la limite, je n’étais plus responsable en tant qu’enseignante parce que je l’avais informé. Cette législation est complètement différente en France et en Allemagne. En Allemagne, on responsabilise plus les enfants et je trouve que ça se poursuit même après dans la mentalité des adultes. Un Français, il a beaucoup plus peur de l’autorité et ça vient depuis tout petit. Un Français par exemple ne va pas traverser un feu rouge uniquement quand il y a la police à côté parce qu’il a peur de se faire attraper. Un Allemand ne va pas traverser le feu rouge parce qu’il y a un enfant à côté et qu’il ne veut pas être un mauvais exemple. Je trouve que les Allemands ont plus cette mentalité de collectif, il y a un bien collectif, donc je vais respecter les règles parce que ça va servir au bien collectif et le Français a plus tendance à dire « Tant que moi je m’en sors bien, ça va ». Encore une fois, je prends des pincettes parce que je généralise un peu.
Par rapport à mes élèves, ce que je pense qu’on pourrait apprendre des Allemands c’est de plus oser parler. Les Français, on a peur de parler, peur de se tromper. Les Allemands, même s’ils ne savent pas beaucoup parler, ils essaient de dire plein de trucs, des phrases même si elles contiennent beaucoup de fautes.
Quels sont tes projets d’avenir ?
Mon projet que j’aimerais vraiment démarrer d’ici décembre, c’est de lancer un programme de formation pour apprendre le français. J’ai déjà les grandes lignes du programme sur papier, mais il faut détailler, il faut filmer, il y a tout un travail marketing derrière. J’aimerais bien développer ce côté franco-allemand. On a déjà commencé à organiser des soirées, en ligne pour l’instant, qu’on propose aux Allemands et aux Français pour se rencontrer, pour discuter entre eux. Il y a des tandems qui se sont créés et c’est important pour moi qu’ils trouvent des gens avec qui parler. Bref, mes projets d’avenir vont se tourner de plus en plus vers le franco-allemand, pour toujours mieux aider nos deux pays à s’entendre, se comprendre et se parler.